Il y a eu ces derniers jours de nouveaux débats sur la question de la réduction de la vitesse sur autoroute de 130 km/h à 110km/h, et l’impact possible de cette mesure sur la consommation de carburant. La diminution de vitesse semble assez faible, et on peut légitimement se demander si un telle mesure ferait une différence. Et on pourrait même presque tenter d’argumenter le contraire ! Si on va plus vite, on consomme peut-être plus, mais on roule moins longtemps, donc ça devrait se compenser.

Alors pour éclairer ce débat, je me suis dit que c’était l’occasion de parler des phénomènes impliqués dans la consommation énergétique des véhicules. Je suis sûr que des tas de gens ont déjà fait ça mieux que moi, donc ne prenez pas cela trop au sérieux : c’est surtout pour moi l’occasion de faire un petit exercice et de mettre sur la table quelques ordres de grandeur. Et de parler de physique !

La consommation sur 100 km

Commençons par regarder les choses de haut. Imaginons une voiture moyenne, effectuant un trajet de 100 km sur autoroute. Je vais prendre comme référence une Mégane essence récente. 

On sait que les consommations annoncées par les constructeurs sont sous-estimées car les mesures sont réalisées en conditions idéales. Je vais me baser sur les témoignages du site sus-mentionné, et faire une moyenne charitable à environ 7L/100km pour un trajet sur autoroute. 

Combien y-a-t-il d’énergie dans 7L d’essence ? Eh bien 1 litre d’essence contient environ 32 mégajoules d’énergie (l’équivalent d’environ 9 kWh), ce qui nous met à 224 MJ pour notre trajet de 100km.

D’où vient ce chiffre ? Qu’est-ce qui l’explique au niveau physique ? 

Énergie cinétique

Une première piste, c’est l’énergie cinétique de la voiture. Quand vous montez dedans, elle est (en général) à l’arrêt, donc à vitesse nulle. Et pour l’amener jusqu’à 130 km/h il va vous falloir dépenser de l’énergie. La formule de l’énergie cinétique est bien connue

Ec=12mv2

La masse de notre véhicule est d’environ 1200 kg. La vitesse est à prendre en m/s, dans notre cas environ 36 m/s. Si vous faites le calcul, cela fait une énergie cinétique d’environ 0.8 MJ. On est très en-dessous de la valeur de consommation ! Et c’est bien normal, la majorité de l’énergie dépensée sur un trajet n’est pas lié au fait d’amener la voiture à sa vitesse de croisière, mais bien de l’y maintenir. Ca se voit d’ailleurs parce que s’il suffisait d’amener la voiture à 130, on pourrait relâcher l’accélérateur une fois la vitesse atteinte…or on sait bien que ça n’est pas le cas ! Il faut continuer d’utiliser le moteur pour maintenir la vitesse de la voiture. Et la raison, ce sont les frottements !

Dans un monde idéal sans frottements, on dépenserait nos 0.8 MJ initialement, on laisserait la voiture avancer à vitesse constante, et à l’arrivée on aurait juste à freiner. La dépense énergétique serait indépendante de la distance parcourue, ce serait bien pratique ! Mais ça ne marche pas.

Il y a deux sources de frottements : ceux dûs au contact des pneus sur la route, et ceux dûs à l’air qui entoure le véhicule en mouvement.

Les frottements du sol

Commençons par regarder comment on traite les frottements du sol dans un cas simple, celui où on essaye de faire glisser un objet sur le sol. Imaginez donc une boite d’une certaine masse m, et donc de poids mg, posée sur un sol plat, et que vous essayez de pousser pour la faire glisser. La force de frottement s’oppose à ce glissement.

La manière classique de le modéliser est de considérer que l’intensité de la force de frottement (notée FT car tangentielle à la surface) est proportionnelle à FN la force normale à la surface, avec un coefficient de proportionnalité traditionnellement noté μ.

FT=μFN

Ici la force normale n’est autre que le poids de la boite, on a donc 

FT=μmg.

Le coefficient μ va dépendre des matériaux impliqués, de leur rugosité de surface, etc. Pour des matériaux qui glissent bien l’un sur l’autre on peut descendre à 0,1 voire en-dessous. Mais pour du caoutchouc sur de la route goudronnée, on est autour de 0,8. 

A ce stade, on pourrait être tenté de prendre cela pour calculer la force de frottement du sol dans le cas de notre voiture. Mais attention, il y a un piège : notre voiture ne glisse pas sur la route, elle roule ! C’est très différent. J’en veux pour preuve l’expérience suivante : essayez de pousser une voiture pas trop lourde avec l’aide de quelques amis, vous y arriverez sans trop de problèmes. Maintenant faite la même chose en essayant serré le frein à main à fond : la voiture ne bougera pas d’un pouce ! La résistance de la voiture au glissement des pneus sur la route est beaucoup plus importante que celle du roulement des mêmes pneus sur la même route.

Alors comment calcule-t-on la résistance au roulement ? Eh bien on peut utiliser le même genre de formule, mais avec un coefficient beaucoup plus faible. Celui-ci va dépendre notamment du diamètre des roues et de la longueur de la surface de contact entre le pneu et la route. A un instant donné le pneu est légèrement applati, et plus cette déformation est importante, plus la surface de contact est élevée et plus le coefficient sera élevé. Cela explique notamment pourquoi des pneus sous-gonflés ont un impact sur la consommation de carburant.

Dans des conditions typiques pour une voiture sur une route, le coefficient de résistance au roulement est d’environ 0.01.

(Pour d’autres valeurs voici ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Résistance_au_roulement#Coefficient_de_résistance_au_roulement)

Notons que sur une surface plus meuble comme du sable, il serait bien plus élevé. Et qu’il est au contraire environ 10 fois plus faible dans le cas d’un train sur des rails en acier.

Bref, prenons cette valeur de 0.01, mettons là dans notre formule avec le poids de notre véhicule, on trouve une force de frottement du sol d’environ 120 Newtons.

Maintenant comment passe-t-on de cette force à l’énergie ? Eh bien il faut se souvenir que l’énergie dépensée correspond au travail de la force. Dans notre cas la force s’oppose directement au mouvement donc il suffit de multiplier la force par la distance parcourue (en mètres). On trouve pour une distance de 100km que le travail des frottements du sol est ici de 12MJ.

On est très en-dessous de la consommation globale de notre véhicule sur 100km, alors voyons maintenant les frottements de l’air.

Les frottements de l’air

Les frottements d’un objet dans un fluide, c’est compliqué, et ça va dépendre de l’objet et du fluide.

Dans le cas d’un objet à faible vitesse dans un fluide suffisamment visqueux, la force de frottement est proportionnelle à la vitesse. Mais avec notre voiture dans l’air, on n’est pas vraiment dans ces conditions ! Dans ce cas, la force (dite de trainée aérodynamique) est proportionnelle au carré de la vitesse. La formule générale est 

F=12ρv2CxS

Où ρ est la densité du fluide, S est la surface exposée et Cx est le coefficient de trainée. Ces deux derniers termes vont dépendre de la géométrie de la voiture : plus sa section « de face » est élevée, plus S sera élevé. Quand à Cx, il quantifie à quel point la forme est aérodynamique. Si la voiture était un cube, on aurait un Cx de l’ordre de 1. Si la voiture était fuselée comme un avion, ce serait plutôt inférieur à 0.1. En pratique on est entre les deux.

Un véhicule typique est à un Cx d’environ 0,3. Certains voitures à l’aérodynamique soignée peuvent descendre en-dessous (les Tesla sont autour de 0,2), et au contraire, un bon vieux Hummer M2 affiche un Cx de 0,57.

Évidemment vous noterez qu’un bon Cx n’est rien si la surface exposée est énorme. En pratique, on peut évaluer l’aérodynamique d’un véhicule en regardant directement le produit CxS qui est une sorte de surface de traînée. Celle-ci est environ de 0.7m2 pour un véhicule classique, mais à nouveau notre bon vieux Hummer H2 est 2.5 m2 !

Mettons ça dans notre formule. La masse volumique de l’air est d’environ 1.3kg/m3, si on roule à 130km/h (donc 36m/s) on arrive à un total d’environ 600 N. A nouveau on multiplie par la distance pour avoir le travail de la force associée, est on trouve 60 MJ pour le travail des forces de frottement de l’air sur une distance de 100km.

Consommation totale

A ce stade on voit donc que les frottements de l’air sont dominants par rapport aux frottements du sol, environ 5 fois plus important. Par ailleurs le total est de 72MJ, ce qui semble très en-dessous des 224MJ qu’on a trouvé en prenant directement la consommation de la voiture. Comment se fait-ce ?

Eh bien l’explication est liée au rendement d’un moteur thermique. Malheureusement ceux-ci convertissent une bonne partie de l’énergie produite en chaleur, et seule une fraction va effectivement être convertie en énergie mécanique servant à faire avancer le véhicule. Le rendement d’un bon moteur thermique semble aujourd’hui être autour de 35%. Si on applique ce ratio à nos 224 MJ, on trouve 78 MJ de travail mécanique effectif fourni par notre moteur. Et on est très proche de nos 72 MJ estimé à partir des forces de frottement.

Évidemment, n’oubliez pas que tout ça cOn voit donc que du fait que les frottements aérodynamiques (80% du total) dépendent du carré de la vitesse, une diminution de vitesse de 15% engendre une diminution de consommation de 25%. Évidemment, il faudrait un peu raffiner en regardant la façon dont le rendement du moteur dépend de l’allure, etc., mais une fois de plus ça donne l’ordre de grandeur qui nous permet de raisonner quantitativement.e sont des ordres de grandeur, les détails peuvent varier mais on voit qu’en gros on retombe à peu près sur nos pattes.

Et alors, ces 110 km/h ?

Il reste maintenant la question qui nous a amené ici : que se passe-t-il si on roule à 110km/h au lieu de 130km/h ? Cela correspond à une diminution de seulement 15% de la vitesse.

Mais on voit que pour les frottements aérodynamiques (la source principale de consommation), ce qui compte c’est le carré de la vitesse ! En utilisant une vitesse de 110km/h, on trouve une valeur de 42 MJ (au lieu de 60) pour le travail de cette force. Notre total de 72 MJ se trouve donc réduit à  54 MJ, soit une diminution de 25% de la dépense énergétique.

On voit donc que du fait que les frottements aérodynamiques (80% du total) dépendent du carré de la vitesse, une diminution de vitesse de 15% engendre une diminution de consommation de 25%. Évidemment, il faudrait un peu raffiner en regardant la façon dont le rendement du moteur dépend de l’allure, etc., mais une fois de plus ça donne l’ordre de grandeur qui nous permet de raisonner quantitativement.

D’ailleurs une expérience « grandeur nature » réalisée ici (avec un moteur diesel) donne le même ordre de grandeur https://www.caradisiac.com/110-km-h-sur-autoroute-notre-grand-test-183962.htm

Détails et autres précisions

Pour affiner encore, il faudrait tenir compte de l’impact de la climatisation (qui n’est pas dépendante de la vitesse et dont la consommation va pour le coup légèrement s’allonger avec le temps passé dans la voiture). D’ailleurs à ce sujet, on ne peut que déplorer cette mode persistante qui consiste à considérer qu’une voiture noire soit plus classe ou plus belle qu’une voiture blanche. En espérant que les Teslas blanches arrivent à renverser la tendance. Je serais curieux de connaître l’impact effectif de la différence de couleur sur les dépenses de climatisation. 

(Edit : ma tentative à la serpe avait l’air fausse pour plusieurs raisons : je la vire !).

Une autre chose qu’on peut déplorer, c’est le rendement somme toute assez faible des moteurs thermiques. Il semblerait que certains puissent aller vers 40%, mais on reste loin du rendement des moteurs électriques : quasiment 100% ! C’est un avantage remarquable mais peu médiatisé des voitures électriques : les pertes thermiques sont négligeables et le rendement est bien meilleur que l’essence. (Bien évidemment, si l’électricité provient de centrales brûlant des énergies fossiles, comme ces centrales ont elle-même un rendement d’environ 1/3, ça ne change rien à l’affaire)

Un autre point notable de cette analyse : la question de la masse des véhicules. On met souvent en avant « le poids » pour se plaindre des SUV et de leurs supposée importante dépense énergétique. On voit dans l’analyse que la masse joue uniquement sur les frottements du sol, et un véhicule 50% plus lourd n’aura pas forcément une consommation 50% plus importante. Après il y a un effet indirect sur la surface de traînée, puisqu’un véhicule plus lourd est aussi en général plus volumineux (coucou le Hummer H2 et ses 20 litres au 100km).

(Edit : comme noté, le raisonnement vaut sur autoroute. En ville on est à faible vitesse avec beaucoup de freinages et accélération, ça augmente le rôle de la composante « massique » par rapport à l’aérodynamique)

Pour finir, on peut essayer de regarder de l’autre côté du spectre, avec les records de consommation établis dans les marathons qui consistent à aller le plus loin possible avec le moins de carburant possible. A ce petit jeu, le record semble détenu par la « voiture » Pac-Car II conçue par l’ETH Zürich.

Sa masse est de 29kg, son coefficient de frottement de roulement est de 0.0008, donc avec un petit passager on est à 0.06 MJ sur 100km. Pour l’aérodynamique, son Cx est 0.075 pour une surface de 0.254m2, soit une surface de trainée de 0.02 m2. En roulant à 30 km/h, je trouve 0.09 MJ. Ça fait un total de 0.15 MJ, soit 500 fois moins que notre calcul avec un véhicule normal. Avec un moteur (à hydrogène) dont le rendement est d’environ 50%, ça nous met à 0.3 MJ pour 100km donc environ 10000 km avec 1L d’équivalent en essence. Le record annoncé sur la page Wikipédia est de « seulement » 5300 km, donc il doit y avoir quelques approximations supplémentaires mais ça donne l’ordre de grandeur. (N’hésitez pas à refaire mes calculs !)