Les cinq réussites de la limitation de vitesse à 80 km par heure

La limitation de la vitesse à 80 km/h est un sujet qui fâche. Pourtant, rares sont les mesures qui ont un bilan aussi positif. L’ingénieur Mathieu Chassignet, spécialiste des transports, démonte cinq idées reçues autour du passage à 80 km/h.
Alternatives Economiques 11/01/2021 Mathieu Chassignet

Mathieu Chassignet est ingénieur spécialisé sur les questions autour de la ville et des transports durables.
Il anime un blog sur la plate-forme d’Alternatives Economiques

C’est un petit coup de frein pour chaque trajet, mais un grand motif d’empoignade pour les Français : le 1 er juillet 2018, la vitesse autorisée passait de 90 à 80 km/heure sur les routes bidirectionnelles dépourvues de séparateur central. Deux ans et demi plus tard, quel bilan tirer de cette mesure contestée, et souvent caricaturée ? Fait intéressant : dès le départ, un dispositif d’évaluation des effets de cette nouvelle limitation a été prévu.

La méthode d’évaluation suit une approche comparative « avant » et « après » la mise en œuvre des 80 km/h, avec comme groupe de contrôle le reste du réseau routier non impacté par cette mesure, ce qui permet de tenir compte des effets contextuels. Cette évaluation était initialement prévue sur deux ans (de juillet 2018 à juin 2020). Finalement, les analyses se sont arrêtées à la fin de l’année 2019 et les chiffres de 2020 n’ont pas été pris en compte : avec la situation sanitaire et un premier confinement intervenu dès le mois de mars, cela aurait biaisé l’analyse avec des niveaux de trafic (et de mortalité) très inférieurs à la normale. Le bilan final, publié au début de l’été mais passé relativement inaperçu, permet de démentir cinq idées reçues sur cette question inflammable.


Idée reçue n° 1 : les gens roulent toujours aussi vite
Depuis la limitation à 80 km/h, la vitesse moyenne des véhicules légers a diminué de 3,5 km/h. Celle-ci est passée de 87 km/h (juin 2018) à 83,5 km/h (sur la période juillet 2018-décembre 2019). Il s’agit de la vitesse mesurée sur des portions de routes où le conducteur peut choisir librement sa vitesse (section en ligne droite, sans congestion, sans intersection proche, etc.).
La baisse de la vitesse moyenne des véhicules légers est de 3,5 km/h

 

Idée reçue n° 2 : la limitation à 80 km/h n’a pas amélioré la sécurité
C’était l’enjeu principal de la mesure : faire baisser le nombre de tués sur les routes, alors que la chute structurelle du nombre de morts s’était interrompue. Et l’objectif semble rempli. Sur les routes dont la vitesse a été limitée à 80 km/h, on a dénombré 132 tués en moins en 2018 et 206 tués en moins en 2019 par rapport à la moyenne des cinq années précédentes. Sur le reste des routes, le nombre de tués est resté stable.
Cela tend à prouver que la diminution de la mortalité sur les routes concernées est bien liée au passage à 80 km/h et non pas à des facteurs externes ou à une tendance de fond (améliorations techniques sur les véhicules, comportements plus prudents de la part des conducteurs, etc.).
Un nombre de vies épargnées historique en 2019

Dans le détail mois par mois, on observe un décrochage du nombre de tués sur les routes passées à 80 km/h par rapport au reste du réseau. Alors que les deux courbes se suivaient auparavant et restaient très proches jusqu’en juin 2018, elles s’écartent à partir de la mise en place de la mesure en juillet 2018.

(note de la Ligue: si les limitations de vitesse avaient toutes été respectées, la baisse aurait été plus importante, le modèle de Nilsson Elvik montre que 1% de vitesse moyenne en moins entraîne une baisse de 4% de la mortalité. Le 80 km/h n’a donc pas joué à plein, loin de là. L’objectif de 250 vies épargnées peut être atteint, la prédiction des experts de sécurité routière de 2013 va se réaliser)


Idée reçue n° 3 : les 80 km/h font perdre beaucoup de temps
Les opposants – notamment ruraux – à la mesure alertaient sur l’allongement potentiel des trajets et le risque ’isolement de certains territoires et habitants. En réalité, la perte de temps se situe autour de 1 seconde par km seulement (un peu moins en semaine, un peu plus le week-end). Ceci a été mesuré à partir du suivi de traces GPS fournies par l’opérateur TomTom. Les temps de parcours réels ont ainsi pu être comparés avant et après la limitation à 80 km/h sur un échantillon varié d’itinéraires.

Si la théorie veut que passer de 90 à 80 km/h fasse perdre 5 secondes/km à vitesse constante, la réalité est tout autre.

D’une part, parce que la vitesse en section courante a diminué de 3,5 km/h seulement et, d’autre part, parce qu’il faut tenir compte de la congestion, de la présence de camions, d’intersections, traversées de villages, etc. Autant d’éléments qui empêchent souvent de rouler à la vitesse maximale autorisée.

(note de la Ligue: le CEREMA a évalué la perte de temps moyenne au km parcouru à 1,5 s, pour 30% des usagers il y a eu des gains de temps grâce à une meilleure fluidité du trafic). 


Idée reçue n° 4 : on ne consomme pas moins à 80 qu’à 90 km/h
Baisser la limitation de vitesse à 80 km/h plutôt que 90 km/h aurait permis une diminution de consommation de carburants d’environ 0,2 l/100 km. Ici, ce ne sont pas des consommations réelles mesurées, mais simulées à partir des traces GPS obtenues et du logiciel de référence en matière de consommation des véhicules. Ces données ne sont donc pas parfaites mais elles restent suffisamment robustes.

Au total, ce serait environ 500 millions de litres de carburants économisés par an, soit un gain de pouvoir d’achat pour les Français de plus de 600 millions d’euros par an. Et, au passage, une économie de plus d’1 million de tonnes de CO 2 par an.


Idée reçue n° 5 : les Français sont très opposés à cette mesure
Accusée d’être une mesure « techno » voulue uniquement par quelques décideurs urbains, la limitation à 80 km/heure est finalement plutôt bien acceptée par les Français. Près de la moitié d’entre eux (48 %) se disait favorables aux 80 km/h en juin 2020, lors de la dernière vague de l’enquête. Un pourcentage qui ne s’élevait qu’à 30 % en avril 2018, avant la mise en œuvre de la mesure. Même dynamique pour les personnes tout à fait opposées à la mesure, passées de 40 % à 20 %.

Ce phénomène est assez classique pour ce type de mesures, à l’image de ce qu’on observe pour les péages urbains : la population est contre au début, mais cela s’estompe avec le temps. A Oslo, on est passé de 30 % à presque 50 % d’opinions favorables au péage urbain et de 33 % à près de 70 % à Stockholm. De manière plus générale, les politiques de limitation de la place de la voiture sont toujours critiquées au départ mais finissent par être jugées positivement par les habitants, comme la piétonnisation des voies sur berges à Paris ou à Lyon.


Les avantages l’emportent-ils donc sur les inconvénients ?
On pourrait reformuler cette question de la manière suivante : est-ce bien la peine de nous faire perdre du temps pour épargner quelques centaines de vies ? Pour le savoir, les experts du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) calculent le bilan socio-économique de la mesure. Les chercheurs évaluent plusieurs aspects, comme le prix des vies sauvées1, la non-prise en charge des blessures évitées, les économies de carburant, et le temps perdu sur la route à cause de l’abaissement de la vitesse autorisée. Au total, meilleure sécurité (1,2 milliard d’euros) et aux économies de carburants pour lesquelles le calcul socio-économique fait
apparaître un gain entre 251 et 320 millions d’euros2. Le principal coût social est la perte de temps, estimée entre 720 et 917 millions d’euros.

Et maintenant, aller plus loin ?
Mais alors, où s’arrêter dans les limitations de vitesse ? Aurait-il été encore plus bénéfique de limiter à 70 km/h plutôt que 80 km/h ? Peut-être… On peut en tout cas saluer le fait d’avoir mené une évaluation qui a été pensée dès le départ et d’avoir publié des analyses à la méthode rigoureuse et aux données de qualité.

Puisque la période est encore aux vœux, souhaitons que cette méthode soit adoptée pour d’autres réductions de limitation de vitesse, comme le passage de 50 à 30 km/h en ville.

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