80 km/h : l’étude qui valide la limitation de vitesse sur les routes secondaires

Une estimation inédite montre que les accidents mortels se concentrent sur les axes secondaires en zone rurale et valide la volonté du gouvernement de limiter la vitesse à 80km/h.

 Le JDD 18/03/2018

Comparaison entre le nombres de morts hors agglomération par département et la densité de population par département. Les départements les moins peuplés sont ceux où il y a le plus grands nombres de morts. (JDD)

Le professeur Claude Got ­repart en croisade. Le médecin à la ­retraite, spécialiste de l’étude des accidents de la circulation, traque “les fake news” propagées par les opposants à la limitation à 80 km/h sur les routes secondaires. “La pollution du débat public par le mensonge et la manipulation des faits pose un problème grave“, tonne-t‑il. Alors que Les Républicains se mobilisent contre un projet censé creuser “la fracture territoriale” et qui doit entrer en vigueur le 1er juillet, Claude Got s’est plongé dans une base de données du ministère de l’Intérieur. Il a notamment calculé le nombre de morts pour 1 million d’habitants sur les routes de campagne, c’est‑à-dire sur les axes au cœur de la polémique – ceux situés en dehors des agglomérations et des autoroutes. “En attendant la publication de chiffres officiels, j’ai voulu mettre en évidence le fait que la politique d’Édouard Philippe a un fondement rationnel“, indique-t‑il.

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Plus de morts dans les départements ruraux

Comme le montre la première carte, le nombre de morts pour 1 million d’habitants est plus élevé dans certains départements ruraux (colorés en bordeaux) où la densité de population est faible : Orne, Yonne, Haute-Marne, Jura, Lozère, etc. En Haute-Loire par exemple, un de ces points noirs (et fief de Laurent Wauquiez, dont le parti conteste la nouvelle limitation), la proportion de tués hors agglomération s’élève à 79 %. “Dans ces zones où les services publics disparaissent, les gens circulent beaucoup, commente Claude Got. Ils font parfois de longs trajets pour gagner la préfecture ou aller chez le médecin. Des facteurs démographiques et géographiques expliquent donc ce taux élevé.” Près des zones urbaines, en revanche, le taux est plus faible, notamment du fait des bouchons qui réduisent la vitesse moyenne.

Les belles départementales droites, qui ont été largement ­rénovées, sont plus dangereuses que celles tortueuses en montagne

Le spécialiste a présenté mercredi son étude devant le groupe de travail du Sénat sur la sécurité routière, qui s’est justement donné pour mission d’évaluer la “valeur scientifique” des travaux ayant convaincu le Premier ministre, Édouard Philippe, d’abaisser la vitesse de 10 km/h. Un des animateurs de ce groupe, Michel ­Raison, paysan à la retraite et élu LR de Haute-Saône (en rouge sur la carte), “hostile aux 80 km/h mais défenseur de la rigueur”, n’a pas été ébranlé par la démonstration du professeur Got. “Plusieurs scientifiques sérieux viennent nous expliquer que plus la vitesse est ­importante, plus le risque de mourir est grand. Mais on apprend ça en CE1 !” Pour le sénateur, comme pour de nombreux opposants à la réforme, il conviendrait au plus vite de “faire le tri entre les routes dangereuses, où la vitesse serait réduite, et celles où la limitation à 90 km/h pourrait être maintenue”.

Les belles départementales droites, qui ont été largement ­rénovées, sont plus dangereuses que celles tortueuses en montagne. C’est pour cela qu’il faut imposer le 80 partout, et pas seulement sur les routes qui donnent un ressenti de danger“, rétorque Claude Got. En effet, le trafic est le principal facteur déterminant la densité des accidents.

Lire aussi : Comment Les Républicains veulent profiter de la mobilisation contre la limitation à 80 km/h

Un autre argument répété en boucle par les anti-80 km/h a le don de hérisser le professeur de médecine : la perte de temps prétendument occasionnée par la réduction de la vitesse. “La gêne est minime, plaide-t‑il. Les allongements de temps de parcours pour une quarantaine de kilomètres vont de zéro à trois minutes.” 

Au fond, l’épidémiologiste se désole que les parlementaires et présidents de département des campagnes, ­majoritairement de droite, qui mènent la fronde contre la limitation à 80 km/h soient à ce point sourds aux lois de la physique et de la géographie : “Ils disent : “Touche pas à la mortalité de mon département, elle est parmi les plus élevées et j’en suis fier.” Ils se tirent une balle dans le pied en s’opposant à la réduction de la mort de leurs enfants !

3.693 tués sur les routes de France en 2017

Alors que Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière, juge “insupportable la politisation d’un dossier majeur de santé publique“, Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité ­routière, préfère, comme le professeur Got, diagnostiquer “un déni scientifique” dont souffrirait une bonne partie de la population. Afin de le combattre, ce magistrat s’est lancé dans un tour de France à vocation pédagogique. Partout, il convoque la science mais aussi la mythologie pour tenter de convaincre que de nombreuses morts (3.693 tués en 2017 sur les routes de France) pourraient être évitées et qu’il faut cesser de payer “le prix du Minotaure”. 

De villages en petits bourgs, Emmanuel Barbe trouve souvent matière à un certain optimisme : ces mêmes élus accros à la limitation à 90 km/h ont, de leur plein gré, parsemé les rues de zones limitées à 30 km/h. En matière de sécurité routière comme en politique, dos-d’âne et chicanes sont fréquents.


Quinze départements paient un lourd tribut

Le calcul du nombre de morts hors agglomération et hors autoroutes pour 1 million d’habitants a été réalisé à partir de données portant sur les années 2012-2015 puisées dans les bordereaux d’analyse des accidents corporels (BAAC), qui alimentent une base du ministère de l’Intérieur. Selon l’estimation réalisée par le médecin Claude Got, quinze départements ruraux (colorés en bordeaux), où la densité de la population est faible, sont très lourdement frappés.

En Haute-Loire (227.000 habitants, 42 habitants au kilomètre carré), la mortalité hors agglomération est ainsi de 74 pour 1 million d’habitants, soit 79 % de morts hors agglomération. Dans la Lozère voisine (75.000 habitants, 15 habitants au kilomètre carré), elle est de 139 pour 1 million d’habitants, ce qui équivaut à 72 % de morts sur des routes secondaires. L’étude complète est à retrouver sur le blog de Claude Got.

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