La violence routière, discriminant social

Dans un article paru dans le Monde Diplomatique en août 2016, Matthieu Grossetête, chercheur rattaché au Centre universitaire de recherches sur l’action publique et le politique, université de Picardie, fait le lien entre les accidents de la route et les classes sociales.

Le constat est que les pouvoirs publics incriminent uniquement les comportements individuels pour expliquer la hausse du nombre de morts sur les routes en 2014 et 2015. Or, pour M. Grossetête, outre les conduites individuelles, cela vient aussi de la précarisation des classes populaires et des inégalités sociales.

Un accident de la route est le résultat de déterminations collectives. En effet, si l’on prend pour exemple les jeunes, alors que 38 % du total des accidentés décédés avaient moins de 30 ans, ce pourcentage s’élève à presque 50 % chez les ouvriers. Et la surreprésentation des ouvriers apparaît quel que soit l’âge.

Les catégories sociales favorisées et les professions libérales sont-elles plus vertueuses au volant ? Dans une étude des comparutions pour homicide routier dans un tribunal de grande instance, on constate une surreprésentation des cadres et une sous-représentation des ouvriers : les conducteurs utilisant des véhicules équipés de protections plus modernes et plus efficaces ont été épargnés dans les accidents qu’ils ont provoqués. Les juges de ce tribunal établissent d’ailleurs un lien direct entre le capital économique des inculpés, la puissance de leur véhicule et leur sentiment d’omnipotence dans l’espace public. Ces prévenus bénéficient d’une certaine clémence… Dans des circonstances équivalentes, les ouvriers sont plus sévèrement condamnés.

En dehors de voitures puissantes et protectrices, ces disparités cadres/ouvriers s’expliquent aussi par les conditions de vie des classes populaires. On sait que 80 % des accidents mortels ont lieu sur les routes départementales, et ce sont souvent les classes populaires qui vivent loin des agglomérations et qui effectuent des trajets plus longs pour se rendre au travail. Les plus aisés habitent en ville ou empruntent l’auto-route (payante). Mais c’est aussi l’isolement affectif des couches populaires (les conducteurs mis en cause sont plus souvent célibataires, veufs ou divorcés), qui accentue l’impératif de profiter de la vie, l’avenir n’étant plus assuré.

De nombreux fonctionnaires de terrain constatent la surreprésentation des personnes précaires parmi les victimes. Mais les pouvoirs publics préfèrent ignorer ce constat et vont jusqu’à museler ceux qui osent évoquer ce problème. Pourtant, la connaissance de ces inégalités routières pourrait permettre d’orienter différemment les politiques publiques et éviter nombre d’accidents. Pour exemple, les classes populaires sont largement absentes des campagnes nationales de prévention.

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