Conduite sans permis, la dépénalisation nous met dans la peine

Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière: ” La suppression du passage par le tribunal est un message de laxisme ! ”

Conduite sans permis : amende ou procès ?

L’une des dispositions sur la sécurité routière les plus controversées du projet de loi sur la justice du XXIe siècle a été supprimée par le Sénat, en séance publique, mardi 27 septembre. Elle prévoit la création d’amendes forfaitaires pour sanctionner les délits de conduite sans permis et de conduite sans assurance.

Deux amendements, présentés par Jacques Mézard (RDSE, Cantal) et Jean-Pierre Grand (LR, Hérault), ont permis de supprimer l’actuel article 15 bis A du texte.

L’histoire tumultueuse de cette disposition commence le 31 juillet 2015 : la garde des sceaux, Christiane Taubira, présente en conseil des ministres son projet de loi sur la justice du XXIe siècle.  Il s’inspire du rapport de la commission de modernisation de l’action publique, rédigé sous la présidence de Jean-Louis Nadal, procureur général honoraire près la Cour de cassation, et remis novembre 2013. Sa proposition 29 recommandait de transformer cinq infractions, actuellement délictuelles, en contraventions de 5e classe, afin de réduire le temps de traitement des procédures par les services de la police et de la gendarmerie, de désengorger les tribunaux correctionnels qui croulent sous ce type de contentieux, et d’assurer une réponse pénale plus cohérente.

La conduite sans permis, par exemple, est théoriquement passible d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende; mais elle ne donne lieu, en pratique, qu’à des amendes de 414 euros, en moyenne – et jamais de prison – au bout de plusieurs mois. En devenant une contravention de 5e classe, la conduite sans permis ferait encourir à l’automobiliste une peine d’amende de 500 euros, certes moindre que la peine théorique, mais supérieure à la peine infligée en pratique (sauf si elle est payée tout de suite: 400 euros).

Mme Taubira propose de transformer deux infractions, de conduite sans permis et de conduite sans assurance, en contraventions de 5e classe. Elle explique que la sanction sera automatique et rapide, ce qui « vise à renforcer la répression des infractions routières ».

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Mais cette proposition entraîne un déluge de protestations des associations de victimes et d’automobilistes, pour une fois d’accord. « La suppression du passage par le tribunal est un message de laxisme ! », s’indigne notamment Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière. « On oublie la mission pédagogique de la justice !  » protestent les avocats en droit routier. La garde des sceaux fait marche arrière, en invoquant « l’acceptabilité de la société ». Avec son accord, le Sénat qui examine le texte en première lecture, supprime l’article 15, en novembre 2015.

Coup de théâtre lorsque le texte revient en première lecture à l’Assemblée nationale, au mois de mai 2016. Un amendement proposé par les rapporteurs socialistes, Jean-Yves Le Bouillonnec (Val-de-Marne) et Jean-Michel Clément (Vienne), en plein accord avec le nouveau garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, réintroduit la disposition, à une nuance près. Il ne prévoit plus de transformer les délits de conduite sans permis et de conduite sans assurance en contraventions. Délits ils sont, délits ils restent. Mais ils peuvent être sanctionnés par une amende forfaitaire (de 500 euros, ou 800 si le paiement se fait après un délai de 15 jours). Sauf si l’automobiliste refuse de payer l’amende et qu’il préfère la solution du tribunal… Un choix assez peu probable.

M. Urvoas a pourtant rappelé que ce choix était possible, lors de la deuxième lecture du texte au Sénat, le 27 septembre: « L’automobiliste peut refuser l’amende : il passera donc devant le tribunal. Cela devrait rassurer ceux qui tiennent à la solennité du procès. » Alain Marc, sénateur LR de l’Aveyron, a répliqué : « Monsieur le ministre, vous rêvez ! Qui refusera une amende forfaitaire pour passer devant le juge ? «  Et Jacques Mézard : « La personne poursuivie pourra demander à passer devant le tribunal, dit le ministre, plutôt que de payer 400 euros… Quel individu normalement constitué ferait ce choix ? »

L’amendement voté par le Sénat dit que la solution proposée constitue « toujours un affaiblissement de la politique de sécurité routière ».  D’ailleurs, indique-t-il, « ce message a bien été compris par les avocats spécialistes qui plaident déjà dans les tribunaux pour une modération des peines dans la perspective de ce changement de législation ».

On prendra pour exemple cette affaire, relatée par La Nouvelle République: l’avocat d’un chauffard plaide la modération en rappelant que  « l’an prochain, la conduite sans permis ne sera plus un délit, et sera sanctionnée par une amende forfaitaire hors les situations de récidive »…

Le projet de loi doit toutefois repasser le 12 octobre  en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, qui aura le dernier mot. Le vote des sénateurs risque de n’avoir été qu’un baroud d’honneur. [Mise à jour : en effet l’Assemblée nationale a rétabli son texte, le 12 octobre ] Et vous, qu’en pensez-vous? Amende ou procès ?

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