Editorial Pondération

Septembre 2016 : une augmentation de 30,4 % du nombre de tués sur nos routes qu’un communiqué de presse du ministère de l’Intérieur tente de cautionner en se retranchant derrière des considérations d’ordre météorologique. Aucune autocritique, mêmes phrases convenues : 78 familles de plus qu’en septembre 2015 anéanties par le chagrin, et nous endurons une nouvelle incantation à la « nécessité pour chaque usager de la route de respecter scrupuleusement l’ensemble des dispositions du Code de la route et l’ensemble des consignes de prudence délivrées par les autorités ». En fait, tous responsables, sauf… nos décideurs !

Mais ces résultats discréditent tous les membres de ce Gouvernement qui persistent à vouloir s’exonérer de leurs responsabilités. Qui peut croire en effet que les drames de la route les intéressent ? Au Sénat, sur les 105 questions écrites portant sur la sécurité routière adressées à Bernard Cazeneuve ces trois dernières années, 28 ont obtenu une réponse ! L’abdication honteuse face à la montée du populisme nous fait craindre maintenant une 3e mauvaise année consécutive. Du jamais vu depuis 1972 !

Le Délégué qui devrait être le maillon le plus solide de la lutte contre la violence routière, défendant bec et ongles les connaissances des experts pour les appliquer sur le terrain, se contente d’arpenter la France pour prodiguer la bonne (?) parole. Je parle, donc j’agis. Résultat ? Néant. Il oublie le conseil (1) de son chef à propos d’un Ministre dissident : « Il faut travailler beaucoup et parler peu ».

Il serait bien inspiré d’étudier les méthodes de prédécesseurs qui ont remarquablement rempli leur mission, notamment en 2002. L’équipe de Jacques Chirac qui s’était emparée du sujet (après l’échec cuisant de Lionel Jospin, moins de 2,2 % de tués entre 1997 et 2002, au lieu des 50 % annoncés !) ne s’était pas abritée derrière l’acceptabilité et la terminologie afférente : diplomatie, convivialité n’ont jamais pris le pas alors sur le courage politique et l’efficacité. Des valeurs cardinales différentes assuraient une prévention digne de notre pays : la mortalité fut divisée par deux sur nos routes.

Alors que l’interminable en-tête des courriers d’Emmanuel Barbe (Monsieur le Magistrat, Monsieur le Délégué Interministériel à la Sécurité Routière, Monsieur le Délégué à la Sécurité et à la Circulation Routières) nous laisse toujours perplexes, fut un temps où ceux qui occupaient ce poste, se contentaient d’un simple « Directeur de la Sécurité et de la Circulation Routières ». La sobriété de leur présentation n’affectait d’ailleurs en rien leur maîtrise du sujet. Les progrès spectaculaires que nous devons à un Christian Gérondeau ou à un Rémy Heitz auront plus résulté de leur compétence et de leur détermination que du libellé de leur carte de visite.

Depuis son passage du Cabinet du ministre de l’Intérieur à la DSCR, nous ne cessons d’accumuler interrogations, réticences et déconvenues à l’égard du Délégué. Cette critique, qui pourrait apparaître comme un réquisitoire, a émergé lentement. Elle résulte d’une accumulation de propos relevés et écoutés dans les médias, surprenants parfois, décevants souvent. Ainsi, les échanges entre C. Got et E. Barbe, à France Inter(2) :

À la journaliste qui l’interroge sur le manque de volonté politique, E. Barbe monte au créneau :
« Moi, je dois dire que quand j’entends que comme ça a pu être dit, que ce serait la faute à B. Cazeneuve, ça donne juste envie de sourire. Parce que je crois que tout le monde connaît à quel point cet homme est sérieux. Alors moi je suis évidemment un de ses directeurs. Donc on va dire que je suis un flatteur, mais la question n’est pas là ».

Sérieux le Ministre qui déclare prendre les décisions – seul – ? Sérieux le Ministre qui invente dans un discours au Conseil National de Sécurité Routière un projet stratégique gouvernemental de 1966 qui n’a jamais existé ? Sérieux le Ministre qui fait une expérimentation bidon de réduction de la vitesse sur 81 km de routes, alors que le lien entre vitesse et accidentalité est établi depuis des décennies ? Sérieux le Ministre qui tolère une évaporation d’environ 50 % de retraits de points dans ses services ? Hélas, ce n’est pas un geek féru de drones, de big data, de radars leurres, de nudges
et de nouvelles technologies qui l’aidera dans ses responsabilités.

Un auditeur : « Pourquoi, on ne peut pas incorporer dans les véhicules neufs, de la technologie qui va permettre de détecter les gens qui vont faire des excès de vitesse, qui vont être alcoolisés avant de prendre le volant, etc. ? ». Après quelques mots sur l’expérimentation d’un « système d’éthylomètre (sic) antidémarrage » (premiers projets pilotes en Suède dès 1998…), E. Barbe nous enfume avec « l’explosion du numérique, du big data qui nous offrent des possibilités considérables ». C. Got souligne alors la différence entre mettre immédiatement en place le LAVIA, système efficace et opérationnel depuis 2006, et « la passivité gouvernementale qui est toujours dans des
projets qui ne sont pas menés à leur terme dans des délais courts ». Éthylotests antidémarrage et LAVIA auraient dû être largement développés comme peine complémentaire, mais avec E. Barbe, demain… on sauvera gratis. La première décision importante et contraignante, réclamée depuis des années, obligeant les personnes morales à indiquer l’identité du conducteur en infraction ne sera effective qu’à la fin de l’année !

Sa déclamation pour s’attacher la reconnaissance des forces de l’ordre serait presque attendrissante : « D’ailleurs moi je tiens à les saluer, parce que quand on dit “pas d’investissement, pas de mobilisation”, c’est faire peu d’hommage de tous ces gens qui – quand il fait chaud aujourd’hui, aller faire les contrôles eh bien ils les font, quand il fait très froid, ils les font aussi – donc il ne faut quand même pas oublier qu’il y a beaucoup de gens qui se dévouent pour que… pour lutter contre cette violence routière ». Nous pensons que gendarmes et policiers seraient véritablement respectés s’ils avaient les moyens d’exercer leur mission et si les infractions relevées aboutissaient vraiment aux sanctions prévues par la loi.

Pour les radars, entre autres : « nous allons multiplier par 4 ou par 5, le nombre d’heures d’usage de ces voitures(3), parce qu’aujourd’hui elles sont pilotées par deux policiers ou deux gendarmes, et par les temps qui courent, vous vous doutez qu’ils ont un peu d’autres choses à faire ». 

Les 335 familles ravagées par la mort d’un proche ce mois-ci apprécieront. 

Mais plus préoccupants encore ses propos à RMC le 12 octobre avec J.-J. Bourdin qui lui demande s’il envisage d’interdire les avertisseurs de radars : « Alors, les avertisseurs de radars, ça dépend desquels. Si c’est pour la vitesse, très franchement, d’abord il y a des règles juridiques qui font que c’est une information qui est disponible. Et puis ça fait ralentir les gens. C’est un tout autre problème lorsque les gens ont bu. Parce que là l’avertisseur des… des… des forces de police eh bien va les aider à échapper à un contrôle, mais ils continuent à être saouls. Et donc ils sont dangereux. Donc ici il y a un problème qu’il faut régler, bien sûr ». Refuser de neutraliser les avertisseurs de radars par une législation précise est l’une des erreurs majeures de ces dernières années.

Maladresses impardonnables et bévues s’accumulent dans les médias, dans les conférences, mais pire dans sa gouvernance de la DSCR, engendrant un malaise. Lors d’une prise de rendez-vous avec le responsable des radars, ce dernier me précise, très embarrassé, que je ne pourrai le rencontrer qu’en présence du Délégué… Requête maladroite sur la forme et inquiétante sur le fond, à laquelle j’ai refusé de souscrire. L’absorption de la DSCR par le ministère de l’Intérieur engendre peut-être de nouvelles pratiques, mais elle n’est pas sans conséquence : prévenue que l’épreuve théorique du Code n’avait pas été testée et que des experts calaient devant certaines questions, la
Ligue a renoncé à prendre rendez-vous avec le service du permis de conduire qui aurait pu éviter ce fiasco de la première passation en mai 2016 : « Après la mise en place de la réforme, le taux de réussite à l’examen est passé de 70 % à 17 % en moyenne », titrait l’AFP, « Nouveau Code de la route : couacs en chaîne » titrait Le Parisien.

Le 3 octobre, au cours d’une table ronde à l’OCDE (4) sur « un rapport réalisé par des experts internationaux préconisant un système sûr » (5), E. Barbe a commencé son intervention en précisant que la France n’avait pas été consultée pour sa rédaction. Stupéfaction dans la salle et humiliation publique des rédacteurs français qui figurent parmi les meilleurs de nos spécialistes (6). Premier principe que notre inconditionnel de la communication, ancien conseiller de la diplomatie de B. Cazeneuve, avait oublié : préparer ses interventions !

Faute de place, je me suis limitée à quelques exemples, mais je reste malgré tout persuadée qu’Emmanuel Barbe a mauvaise conscience. Sa loyauté envers le ministre de l’Intérieur qui l’a nommé l’oblige à défendre une stratégie destructrice. Il le sait !

Je dédie ce numéro de « Pondération » à une jeune fille de 15 ans, tuée en ce début du mois d’octobre sur une route départementale de l’Allier. Lors du choc – frontal – cinq jeunes ont été hospitalisés en état d’urgence absolue et un autre grièvement blessé. Il s’agit du quatrième accident grave en moins de deux ans dans ce secteur, mais comme il s’agit de ces routes départementales à 90 km/h… Surtout, ne cédons pas à la tentation d’imiter les Flamands qui vont limiter la vitesse à 70 km/h sur ce type de voie !

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