Editorial de Chantal Perrichon dans Pondération
Les prophètes les plus imaginatifs auraient beaucoup hésité avant de déclarer
que 500 vies pouvaient être sauvées en obligeant chaque conducteur à se pourvoir
d’un éthylotest chimique.
Stupéfaits, nous avons découvert cette annonce du Délégué Interministériel dans
une dépêche de l’AFP du 21 mars. Nous attendons maintenant avec impatience les
conclusions de l’expertise collective, menée à notre insu, qui permet d’espérer
de tels résultats.
Il va de soi que nous relaierons massivement cette nouvelle approche de la lutte
contre l’alcool au volant pour que d’autres pays puissent en profiter. Cette
botte secrète de fin de quinquennat devra compenser, et l’autorisation de faire
de la publicité de l’alcool sur internet, et le contournement permanent de la
loi Evin !
Plus sérieusement, de qui se moque-t-on ?
Alors que nous avons la chance d’avoir dans notre pays des experts et des
chercheurs reconnus mondialement, notre vie dépend de « mesurettes » prises au
doigt mouillé.
Saluons au passage le lobbying redoutablement efficace de la société Contralco
: elle a non seulement créé l’association I-tests, dont le Conseil
d’Administration est composé de membres de son personnel et des représentants
Dräger, Alcolock, Ethylo, Mercura, mais elle a, l’an passé, obtenu
l’autorisation de l’Administration de l’Hérault d’organiser le stage de
formation des IDSR (1) dans son usine.
Félicitons I-tests pour ne pas avoir arpenté en vain les couloirs des
ministères. En effet, si l’on associe l’obligation de présenter lors d’un
contrôle un « éthylotest non usagé » à celles de le renouveler tous les deux
ans, avec la norme NF,
vous découvrez alors combien juteux s’avère le marché offert à ce quasi-monopole
de Contralco.
Ce qui nous insupporte n’est évidemment pas le fait qu’une entreprise touche le
jackpot et exprime dans les medias sa très grande satisfaction d’avoir plus que
doublé le nombre de ses employés, mais l’ignorance des
décisions du CISR du 18 décembre 2002 décidant l’abandon de l’utilisation des
éthylotests chimiques, lors des contrôles, vu le nombre de faux négatifs
constatés.
D’ailleurs, les pays industrialisés qui ont le taux de mortalité le plus faible,
n’équipent plus les gendarmes et les policiers que d’éthylotests électroniques.
Rien ne manque à cette escalade dans l’absurde
: présenter un éthylotest usagé implique nécessairement que l’on s’en est servi
et que l’on est donc consciencieux. Il n’empêche, cela pourra coûter 11 euros au
conducteur scrupuleux qui se sera testé...
Nous sommes sidérés que certains aient cru bon de préciser que les conducteurs
de fauteuils roulants électriques seraient exonérés de cette obligation !
(2).
En fait, au cours de ces cinq dernières années, la verbo-motricité aura été le
carburant essentiel des responsables qui se devaient de prolonger le succès de
la politique de sécurité routière enclenchée en 2002 par Jacques Chirac.
Au moment d’écrire ces lignes, le nom du futur président de la République n’est
pas encore connu. Mais quelle que soit l’issue du vote, la sécurité routière
doit impérativement être rattachée au Premier ministre : l’expérience
désastreuse de ces derniers mois aura définitivement prouvé que l’efficacité du
Délégué Interministériel présuppose qu’il ne soit assujetti à aucun ministre, et
qu’il doit bénéficier d’une totale autonomie dans la gestion de ses moyens à la
fois budgétaires et humains.
Je souhaiterais dédier ce numéro de Pondération à un petit garçon de 5 ans,
Nicolas, ce petit garçon qui le 14 février 1977 se prépare à passer de bonnes
vacances chez ses grands-parents. Quelques heures plus tard, un accident
effroyable le rendra orphelin. La dédicace du livre (3) qu’il vient d’écrire se
suffit à elle-même : « À la
mémoire de ma mère Christine, de mon père Bertrand et de ma petite soeur Anne,
qui auront toujours 29 ans, 31 ans et 14 mois. »
Chaque année, trois mille enfants de moins de 18 ans basculent dans l’horreur.
Chaque année, trois mille enfants ne survivront qu’entourés par la tendresse et
l’amour de familles terriblement éprouvées.
Chantal Perrichon